The glacial landscape reminded her that she was, first and foremost, a human living on a planet.
The Midnight Library, matt haig
Cette (jolie) phrase décrit très bien le sentiment qui m’a habitée au moment d’atteindre le flanc du mont Storsteinen (le « gros rocher » en français), à 420 m d’altitude au-dessus de la ville de Tromsø, en Norvège, il y a deux ans. Ce mont surplombe la ville et donne aux visiteurs la possibilité d’accéder au mont adjacent Tromsdalstinden et d’admirer la ville de haut. Je vous joins une photo pour l’appréciation visuelle.
Magnifique, je sais.
Bon. On est loin du K2 ou de l’Himalaya, vous me direz, mais c’était suffisant pour ressentir la petitesse de mon humanité au son des glaces qui craquent, du vent polaire qui siffle et du silence glacial des Alpes norvégiennes qui entourent la ville. Je ne me suis jamais sentie aussi bien et sereine qu’à ce moment.
Je vous écris cela comme intro à mon fameux petit défi de signature sensorielle des villes, vous aurez compris. (Si vous êtes nouveau sur ce blogue, vous pouvez lire le prélude ici.)
La visite à Tromsø s’inscrivait dans un plus grand périple qui incluait l’Islande, la Norvège (polaire), l’Écosse et l’Irlande. Se retrouver à Tromsø, c’est un peu comme visiter le sommet du monde avec le luxe d’une ville occidentale. J’y suis allée avec ma bonne amie Mirta. Nous avons décidé d’y aller en pleine nuit polaire, histoire de vivre l’expérience nordique au max. Nous y avons même passé Noël avec des rennes, chez les Samis.
Ma signature sensorielle en cinq mots de la ville ne sera donc pas une surprise, mais surprendra peut-être…
1. Il y a évidemment l’odeur du froid, difficile à décrire, mais qui affaiblit toutes les autres. Un drôle de mélange de picotement dans le nez et de menthol inodore qui engourdit tout le reste. Quand on y ajoute des flocons — et Dieu sait que ce n’était pas ce qui manquait (pensez à une boule de neige qu’on brasse sans cesse) — le nez pouvait alors distinguer l’odeur des conifères dans les quartiers résidentiels, l’humidité des rues, les brèves émanations qui provenaient des boutiques et des restaurants des rues commerciales et, surtout, celles du port (relents de poissons compris). Rajoutez à cela les bruits des bateaux accostés et vous avez là mon premier souvenir sensoriel de Tromsø.
2. Il y a aussi, période des fêtes oblige, le gløgg qu’on nous a servi à l’auberge de jeunesse le jour de Noël : le vin chaud, la cannelle, le clou de girofle et les forts effluves de cardamome et de zeste d’orange. Une boisson qui réconforte — et qui saoule — avant même qu’on ne l’ait bue. Un souvenir tout simple qu’on m’a servi dans un verre de carton recyclable, mais un parfum qui m’habite encore (et que je n’ai pas retrouvé ici, même avec nos recettes de vin chaud).
[Aparté. Oui, je fréquente encore les auberges de jeunesse; c’est beaucoup plus pittoresque; et franchement moins cher, ce qui n’est pas à négliger en Norvège (la Scandinavie c’est hors de prix, point) au 69e parallèle Nord (les denrées et les services dans le Nord, c’est hors de prix, bis, point).]
3. Dans le même ordre d’idée (de boisson qui réconforte et qui saoule), il y a aussi les multiples juleøls (littéralement « bières de Noël ») bues avant, pendant et après les fêtes. La première a été bue à midi, sur une terrasse intérieure, dans un restaurant du port (justement), au solstice d’hiver avec une pleine lune dans le ciel (à midi, oui; nuit polaire = nuit tout le temps). Les suivantes m’ont engourdie autant que le froid, mais l’une d’elles m’aura fait connaître la brasserie Mack, réputée être la brasserie la plus septentrionale au monde. Les brasseries nordiques offrent le même mélange d’odeur de bois vermoulu, de vieux tapis et de houblons que les pubs irlandais montréalais. Pas beaucoup de dépaysement pour les lieux, seules les papilles ont été surprises par les bières.
4. Qui dit Norvège et Nord, dit père Noël et rennes. Je n’ai pas rencontré le premier, mais j’ai fréquenté les seconds le temps d’un après-midi. La chaleur des bêtes, les naseaux, le poil dru et humide, les bois d’où pendaient encore quelques lambeaux de chair : un mix olfactif indescriptible, mais très organique. Ici, le froid n’a pas d’effet : le sang, la chair, le poil et les haleines transcendent tout. C’est franchement sympathique un renne, cela dit. Surtout si tu lui apportes un bol de lichen et de sphaigne. Tu deviens alors son meilleur ami. Et tu hérites de ce magnifique parfum animal.
5. Si je m’attendais un peu à me souvenir de ce qui précède, je n’aurais pas cru dire (et écrire) un jour que les tacos me rappelleraient la Norvège arctique. Le lien est pourtant simple : quand dans un pays inabordable tu te retrouves, dans une pizzéria de quartier tu te nourriras. Et chez Yonas — le Pizzédélic de l’endroit —, la spécialité d’alors c’était la pizza aux tacos (je dis d’alors parce que le menu a manifestement changé depuis 2019). Un jour, on m’expliquera le mystère des pizzas méditerranéennes dans les endroits reculés — tacos en Arctique et doner dans les provinces atlantiques? —, mais une chose est certaine, une juleøl et une pizza aux tacos, ça le fait solide.
Donc Tromsø : froid, gløgg, juleøl, rennes et… tacos
La semaine prochaine : anosmie en Haïti
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