Ou ma réinterprétation du « Me, Myself and I »

L’ami Al

Mon père était un homme de sciences et de lettres. Sur papier : études en physique à l’Université Laval puis à l’Université de Paris, carrière en enseignement de la physique, cadre supérieur au ministère de l’Éducation, mandats pour l’Université du Québec, au Conseil supérieur de l’éducation et à l’Agence universitaire de la francophonie, publications spécialisées en physique, auteur et traducteur de manuels de physique, et auteur de nouvelles parues dans différentes revues littéraires. Dans la vraie vie, jusqu’en 2013 : tout ce qui précède, agrémenté d’une passion pour la lecture, le théâtre, l’art, les langues (particulièrement le français), les voyages, la musique, les Lumières, le Québec, les journaux satiriques, la politique et bien plus encore.  

Mon père était également un trou de cul et pogné du cul. Il fut à l’image de plusieurs Québécois de sa génération : mal dans sa peau, mal dans sa province, mal dans sa culture, mal(sain) dans ses relations avec les femmes (surtout celles de/dans sa vie). Misogyne, misanthrope, violent, intransigeant, fendant, snob, intolérant, parfois même raciste aussi.

Mon père, ce n’était vraiment pas le plus fort, mais c’était le plus intelligent et le plus cultivé.

Jusqu’à ce que son compagnon Al se pointe.

Officiellement, nous avons accueilli Al au printemps 2013, mais quand on y repense, il nous accompagne depuis une bonne dizaine d’années. L’Alzheimer, c’est l’aimant qu’on passe sur ton disque dur pour y effacer les données de ta vie, mais c’est aussi le bidon d’huile qu’on jette sur le feu sur lequel bouillonne ton ragoût de torts et travers. Ça t’épluche le cerveau comme un oignon et, comble de l’insulte, ça le fait de manière inégale, juste pour que tu puisses te rendre compte de ta lente déchéance.

L’homme de lettres et de sciences n’est plus depuis un an. Les seules lettres qu’il peut encore lire et comprendre sont celles des Gaston Lagaffe qu’il m’achetait quand j’étais petite. Le pogné du cul a repris le dessus. L’oignon laisse aussi maintenant entrevoir l’enfant apeuré et complexé qu’il fut et qu’il se résigne finalement à laisser paraître.

Je m’ennuie du premier, j’ai détesté le deuxième à m’en gâcher la vie, j’essaie de faciliter l’acceptation et le passage du troisième.

Qui a besoin d’ennemis quand on a un ami comme toi, Al?

7 Commentaires

  1. Gabrielle David

    Bonjour Charlotte. Je ne sais même plus très bien comment je suis tombée sur votre blog; je vous savais traductrice aussi depuis un certain temps, j’ai lu avec intérêt votre Chronique d’un repos forcé et, appréciant votre « plume », j’ai continué à lire. Je suis vraiment désolée d’apprendre ce qui arrive à « l’oncle Michel ». Luc avait toujours une telle admiration pour lui….
    Bon courage!
    Gabrielle

    • Charlotte de Celles

      Bonjour Gabrielle! Heureuse de vous « revoir » ici! Merci pour les bons mots (et merci de me suivre). Au plaisir de vous relire ici (ou dans mes courriels). Charlotte

  2. Jean Emond

    Chronique aussi belle qu’elle est dure; il me fera plaisir d’en discuter si tu le souhaites….À+

  3. Carole Voyer

    Généreusement pertinent,magnifiquement écrit.

    • Charlotte de Celles

      Merci Carole. L’écriture nous permet de « faire sortir du méchant » un peu. Ça donne de bons résultats parfois. Du moins, je l’espère 🙂

  4. Olivier Drolet

    J’aime

    • Charlotte de Celles

      Merci Olivier 🙂

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