Ou ma réinterprétation du « Me, Myself and I »

Un mât. Un phare.

Tous les matins, je cours. Ou plutôt, tous les matins, je trottine avec motivation. Je n’ai pas une grande capacité cardiovasculaire et mon asthme freine mes ardeurs, mais j’arrive tout de même à faire 5 km, parfois 7 km, selon le trajet emprunté.

La piste des Carrières (officiellement appelée Réseau Vert) me permet de croiser plus de gens — même le matin, tôt —, joggers, skieurs, marcheurs, pitous, alors que mon trajet plus classique, vers le Jardin botanique, est généralement exempt de piétons, surtout à l’heure à laquelle je pars (entre 6 h et 6 h 30).

Chaque fois que j’emprunte le trajet Jardin, je remarque évidemment le mât de notre cher Stade olympique, dans le ciel, pas très loin.

[Fun fact. Mon bal de finissant a eu lieu là. Dans le mât, oui. À l’époque, ça pouvait servir de salle de réception. Chaque fois que je le vois, ça me ramène à cette soirée un peu bizarre où j’ai fumé trop de pot, bu trop de bières et perdu connaissance devant tout le monde. Eh oui. Je me souviens aussi que j’étais la seule fille du bal en pantalons. Ma « robe » de bal était un tailleur avec pantalons, oui. Je souris encore à cette idée.]

L’autre jour, à le voir se dresser comme ça, je me suis dit que le mât avait très certainement déjà servi de « phare » ou de point de repère pour des femmes ou des jeunes filles en détresse. *Oui, allô, je ne sais pas où je suis non. Non je n’ai pas vu mon agresseur. Je ne suis pas très loin du Stade, je vois le mât.*

Ne me demandez pas pourquoi j’ai pensé à ça. L’histoire de la jeune fille atteinte d’une balle perdue la semaine dernière m’a touchée. Peut-être ai-je fait un lien entre la sécurité dans nos rues et la sécurité des femmes en général? J’ai connu les quartiers où ça s’est passé et j’ai surtout connu les gens peu fréquentables qui le sillonnent parfois. Moi et mes idées saugrenues, parfois…

Le mât, donc.

Il m’a tout de même fait remarquer que je n’ai jamais habité autant dans l’Est de la Ville qu’aujourd’hui. C’était mal vu d’habiter dans ces quartiers, d’où je viens. (On s’entend qu’à Outremont, tout ce qui était à l’est de la rue du Parc, était un no man’s land.) Je ne me suis vraiment jamais souciée du Stade et de ce qu’il pouvait représenter. Je me souviens par contre des expéditions « dans l’Est » que je faisais avec Grand-maman Cécile, généralement pour aller voir cousine Colette ou tante Alice et parfois aussi pour aller magasiner sur la rue Saint-Hubert. (Et accessoirement, aller manger au Saint-Hubert. L’original, oui.) J’aimais beaucoup ces sorties. J’avais l’impression de tricher. J’aimais aussi l’impression d’être dans un monde différent où les gens étaient sympathiques, où les rues grouillaient de monde et où je voyais Grand-maman retrouver son air rieur et son humour.

Cécile venait d’une famille modeste de Sorel. Son père y tenait le magasin général et sa mère tenait maison, comme toutes les femmes du début du XXe siècle. Je ne connais pas beaucoup ce côté de la famille et je ne l’ai pas beaucoup exploré dans mes recherches généalogiques. Mon père n’en parlait jamais non plus. Cela dit, si je me fie aux très nombreuses photos dont j’ai hérité, c’était des gens joyeux. Très joyeux. Et souriants. Et aimants. Encore à ce jour, je soupçonne que nos sorties chez Colette et Alice, mais surtout hors d’Outremont, rappelaient à Cécile ce monde heureux. Dans ma tête d’enfant, c’était là qu’on était bien et qu’on avait du plaisir, surtout si Grand-maman Cécile était avec moi.

Le phare.

Trêve de nostalgie, j’aime beaucoup mon nouveau quartier. J’aime son côté populaire et sans prétention — même si l’embourgeoisement y a déjà fait ses ravages. J’aime qu’il me donne cette impression de me rapprocher du monde de Cécile, justement, où tout le monde s’amuse, rit à gorge déployée et aime son prochain. (Je vous jure, toutes les photos dont j’ai hérité présentent ce genre de scènes.) J’ai, pour une des rares fois dans ma vie, l’impression d’être chez moi. Et si tu connais mon historique de déménagements, c’est kekechose.

À bien y penser, ce mât aura (peut-être) bel et bien été un phare.

*Oui, allô, je ne sais pas trop où je m’en vais, non. Oui, je vais bien et ça ira. Je ne suis pas très loin du Stade, je vois le mât.*

* * *

J’en suis arrivée à ces constats alors que j’écoutais la quatrième épisode de l’excellent, du magnifique, du remarquable balado Dolly Parton’s America. La nostalgie du chez-soi et le rapport à la nostalgie sont au cœur de l’œuvre de Dolly Parton et l’épisode — comme tous les autres — aborde cette question sous de multiples facettes tout aussi fascinantes les unes que les autres. Si vous n’avez pas encore écouté ce podcast, je vous le recommande chaudement.

Sur ce, j’espère que vous avez passé une joyeuse Saint-Valentin, entouré.e.s de ou des êtres qui vous sont chers – chats, chiens, partenaires, enfants et surtout, vous-même! Je travaille sur une playlist des années 1980 depuis quelques jours et malgré une influence très new wave et punk, les chansons d’amour y sont assez présentes. Je vous laisse sur l’une de mes préférées…

2 Commentaires

  1. Amélie

    Le mât du Stade: je le vois depuis l’une des fenêtres avant de mon appartement. Couchée dans mon lit, l’angle de vue est parfait! (Je suis déménagée ici un printemps et n’ai réalisé cette vue du Stade que plusieurs mois après, alors que les feuilles avaient quitté mon ami-arbre pour la première fois depuis mon arrivée.)

    «Dolly Parton’s America»: il ne me reste que trois épisodes sur les neuf et, autant j’ai envie d’écouter rapidement la suite, autant j’ai envie de l’étirer dans le temps. Je voudrais que ce balado me finisse jamais tellement c’est bon!

    • Charlotte de Celles

      J’aime savoir que d’autres voient le mât-phare comme moi 🙂 Et il ne me reste qu’un seul épisode : je me le garde pour demain matin, ensuite je serai en deuil…

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